Voyant qu'aujourd'hui
les artistes ne sont que des amuseurs publics consensuels
ou des directeurs artistiques pour agences de publicité.
Voyant qu'avec
le très commercial Internet, l'ordinateur est utilisé
comme un simple terminal, un téléphone-télévision malléable,
servant à exacerber une vision sociale et communicationnelle
réductrice. Voyant que de toutes façons sur le Web, la
réalité dépasse de loin toutes les actions artistiques,
que l'art est dépassé, débordé et qu'il faut attendre.
Voyant que dans
tous les champs artistiques, l'ordinateur ne sert qu'à
faire du montage évolué, c'est-à-dire à juxtaposer dans
l'espace ou dans le temps des formes visuelles et/ou sonores,
dans la lignée linguistique post-moderne qui constitue
d'ailleurs la veine qui nourrit la majeure partie de la
production contemporaine. Voyant que cette veine s'est
tarie, qu'elle s'est autodétruite, qu'elle est devenue
publicité, "entertainment", divertissement,
diversion. Voyant qu'aujourd'hui l'ordinateur ne sert
qu'à la faire perdurer.
Voyant que l'art
contemporain ne fait que recycler les codes et les mécanismes
de la publicité. Que, comme elle, il impose l'image, porteuse
de message, au spectateur. Ou, au contraire, fait l'inverse,
ce qui revient au même. Voyant que l'art actuel s'identifie
à une méta-mode.
Le présent
manifeste pose l'ordinateur en soi comme nouveau médium
de création artistique.
Cybernétique:
"Étude du processus de commande et de communication
chez les êtres vivants, dans les machines, et dans les
systèmes sociologiques et économiques. Mot posé par Norbert
Wiener en 1948." (Larousse). La cybernétique, par son
ancrage dans les sciences humaines, offre un point de
vue neuf et frais sur la nature humaine. Si l'art traite
de l'humain, l'art doit considérer la cybernétique, d'où
sont nés l'ordinateur et les algorithmes. C'est un devoir.
Un devoir qui remet en cause la pratique artistique dans
son aspect productif d'oeuvres passives. Il s'agit de
considérer les questionnements naissants de la nature
même de l'ordinateur, ce pour quoi il a été inventé: sa
nature de machine universelle, capable de devenir le lieu
d'existence de tout système, c'est-à-dire de tout processus
temporel, quel que soit sa complexité ou sa simplicité.
Une simulation
en temps réel sur ordinateur (le fonctionnement d'un programme)
est une réalité non virtuelle, c'est-à-dire ni potentielle,
ni imaginaire, ni parallèle, ni projetée, ni fictionnelle,
mais bien présente et effective dans l'instant. La simulation
sur ordinateur est l'existence d'un processus réel, ayant
des effets. Le processus existe et est. Les effets sont
perçus. Il y a mise en relation directe entre le processus
et le spectateur, à travers les effets et leur perception,
les actions et les réactions.
Ce rapport particulier
au temps en fait un médium de création différant radicalement
de ses prédécesseurs passifs. La création de systèmes
autonomes existant dans le temps et par rapport à leur
environnement, à l'aide d'algorithmes, de règles et de
modèles arbitrairement malléables, nous permet de considérer
notre propre condition d'être comportemental et interactif.
Le temps devient matière. Le spectateur - ou le "performer"
- est impliqué dans sa chair, ici et maintenant. L'oeuvre
sur ordinateur devient partenaire.
Ainsi, l'ordinateur
et les algorithmes constituent un médium de création,
un outil d'analyse et d'action radicalement neuf qui questionne
la notion même d'oeuvre d'art. C'est un médium actif et
existant par opposition aux médiums passifs et prédéterminés
que sont le cinéma, la photo, la vidéo, la peinture, la
sculpture, la musique écrite, la chorégraphie, bref absolument
toutes les formes d'expression artistique excepté celles
mettant en oeuvre une improvisation face aux spectateurs.
Aujourd'hui,
certains créent, avec des médiums classiques, des fictions
qui sont aussi des réalités, dans lesquelles l'improvisation
tient une large part, questionnant ainsi ces mêmes médiums
qu'ils utilisent. Mais eux ont la force, la facilité,
de ne faire que remettre en cause des médiums existants.
Ici, il s'agit de créer un nouveau médium. De le placer.
La tâche est immense.
Ainsi donc
:
Pour dépasser
l'usage facile et complaisant de l'ordinateur, pour faire
différemment ce qui se fait déjà au cinéma, en vidéo,
en photo, sur papier. Pour dépasser le montage.
Pour dépasser
l'usage de l'ordinateur comme outil de fabrication d'images,
de sons, de musiques. Pour dépasser les effets spéciaux
et le trucage. Pour dépasser l'illusion.
Pour dépasser
les médias passifs, vecteurs et supports d'imposition
de volonté. Pour dépasser l'illustration. Pour dépasser
la monstration d'images et de musiques prédéterminés.
Pour dépasser la manipulation du spectateur.
Pour oublier
la course à la technologie, simple reflet de l'éphémère
consumérisme ambiant. (Car la notion d'oeuvre sur ordinateur
est totalement déconnectée de celle de technologie, de
puissance, de vitesse, de calcul ou de toute autre "avancée"
technologique. Le plus simple des ordinateurs peut suffire
à l'existence d'une oeuvre. La question des moyens mis
en oeuvre doit être subordonnée à celle de la nécessité
pour l'oeuvre. La technologie n'est pas un critère. Ceci
deviendra évident au monde lorsque la technologie permettra
le traitement en temps réel d'images et de sons de qualité
cinématographique, ce qui ne tardera pas. À ce
moment-là, la course technologique s'arrêtera et
ceci deviendra évident.)
Pour ne pas
non plus retomber dans l'ornière du pur concept.
Nous instituons
les règles suivantes:
L'existence
d'une oeuvre d'art sur ordinateur doit satisfaire les
critères suivants:
- Ne pas contenir
d'images, de séquences d'images, de sons, de musiques,
de mots, de phrases, bref de formes pouvant être qualifiées
de signifiantes en elles-mêmes par rapport à l'ensemble.
N'inclure que des micro-fragments, des micro-phonèmes,
des micro-échantillons.
- Les assemblages,
transformations, métamorphoses, transitions, juxtapositions,
évolutions, des images et/ou des sons fondamentaux sont
intégralement pilotés par le ou les programmes. Il n'y
a pas de partition ou scénario pré-écrits.
- L'oeuvre est
constituée principalement par le processus temporel implémenté
(réalisé à partir du modèle) par le programme. Le processus,
les formes visuelles et sonores par lesquelles il est
perçu et les stimuli qu'il peut recevoir concourrent tous
symbiotiquement à la globalité de l'oeuvre. Si signifiant
il y a, il ne peut pas être attribué exclusivement aux
formes, aux stimuli ou au processus, mais résulte des
relations entre ceux-ci. En particulier, le processus
ne génère pas de formes (images, séquences, sons, musique,
mots, phrases) signifiantes en elles-mêmes par rapport
à l'ensemble.
- Le processus
est immergé dans le temps présent. Il existe ici et maintenant.
- Le processus
est essentiellement autonome. Ce n'est pas un pur instrument
asservi dont on joue, ni un système purement réactif.
En particulier, il peut comporter des éléments, fondamentaux
ou superficiels, aléatoires.
- Aucun critère
technologique n'est nécessaire, si ce n'est que l'oeuvre
doit exister sur un ou plusieurs ordinateurs.
Par Antoine
Schmitt 15.8.98 - 4.12.98
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