Définissons
En ce début de millénaire, l'Art ne manque pas de vocabulaire.
Mais l’imprécision des concepts, souvent à géométrie variable,
et surtout le jargon excluent volontairement le profane
d’un débat abscons réservé aux “spécialistes”.
L’un de nos buts est
de combattre cette ghettoïsation volontaire et tant pis
pour un certain nombre d’ "intellectuels" qui taxent de
“populisme”, voire de “vulgarité”, toute tentative de
partager, d’expliquer, de confronter, bref, de vulgariser
!
Mais que cela ne nous
empêche pas d’affiner nos concepts et notre appréhension
de l’Art par la confrontation à la science, en particulier
la théorie de la Médiation.
L'art contemporain
L’aurait-on oublié ? Contemporain veut dire seulement
“de notre temps”.
Le terme était justifié
au début du siècle dernier (le XXème) mais il a vite été
détourné de son sens : seuls sont contemporains les artistes
“dans le rang” ! Le “rang” étant bien entendu défini par
la critique et les institutions. Seuls en sont dignes
les artistes qui fuient le concret : Non-Figuratifs, Abstraits,
Artistes "Conceptuels"…
Les autres, qui osent
trouver encore dans le « réel » leur inspiration, ne sont
que passéIstes, ou, au mieux naïfs, au pire arriérés mentaux
! Nous exagérons à peine...
Au côté
de cet art de plus en plus officiel a persisté, bien entendu,
par la force du marché, le sujet de complaisance, que
le métier désigne par “marines et chapelles”.
Si l’un se nourrit
de subventions et l’autre de succès commerciaux, ils n'excluent
ni l’un ni l’autre le talent.
Par bonheur,
si la musique a connu aussi, comme les arts "plastiques",
cette dérive élitiste et obscurantiste (la mélodie et
le rythme tenant lieu de "concret"), la force du marché
l’a sauvé de la ghettoïsation.
Art non-figuratif
Il a rejeté le "motif”, c'est-à-dire le sujet concret,
comme source d’inspiration.
La tendance générale
est de légitimer cette attitude en prétendant à la liberté,
puisque la contrainte de la représentation n’existe plus.
Mais c’est faire fi
de bien d’autres contraintes, moins explicites ! Matière,
support, outils, traditions deviennent alors par la force
des choses « sujets ». Où est la liberté ?
Il n’est certes
pas important d'identifier un sujet pour éprouver une
émotion. En cela, le non-figuratif n'est pas condamnable.
Par contre il est coupable d'avoir condamné les autres
formes d'expression, au point de considérer même qu'elles
étaient indignes !
Peinture
Abstraite
Etymologiquement, l'abstraction ne tourne pas le dos au
concret, mais elle en donne une interprétation. Le cubisme
est l'exemple parfait de ce qu'une “théorie” peut apporter
à la lecture du réel, au-delà des sensations.
Avec le temps, le terme
«abstrait», qui n'excluait pas la référence
au réel, s'est trouvé accaparé par les nombreux courants
non-figuratifs. Peu à peu, on a glissé d'une volonté d'interpréter
le réel à une négation de ce réel.
Or, aucun autre terme
ne saurait remplacer le terme «abstraction»
pour désigner l’interprétation du réel. La peinture ne
peut être qu’abstraite !
Mais l’art officiel
(reconnu, établi) méprise le figuratif par des connotations
dégradantes comme la flatterie esthétique ou le manque
d'ambition... En dehors du “non au figuratif” point de
salut !
Art Conceptuel
Seule l' “idée” compte ! Après avoir supprimé la fin (le
motif), l'artiste supprime aussi les moyens : support,
matière, outils. C’était inévitable. On n’a pas besoin
de toutes ces contraintes aliénantes et antisociales et
on se réjouit de la formidable liberté de créer !
Plus d’ "instrument"
de musique, seule compte la partition, fut-elle injouable
ou vierge...
L'artiste réifie
l'idée, fut-elle triviale. Au besoin, le gigantisme, le
monumental, l'incongru des réalisations feront oublier
la faiblesse du propos.
La "force" de
l'art conceptuel est de se nourrir de mots et d’être “textuellement
transmissible”. Les bavards peuvent enfin s’exprimer en
toute impunité.
Le Triptyque
de la Liberté
Un triptyque
est classiquement la réunion de trois œuvres articulées
par des charnières. Les deux battants latéraux se referment
sur le panneau central, unissant souvent leurs images
pour n'en faire qu'une.
Dans cette métaphore,
chaque battant du Tryptique représente les deux courants
artistiques contradictoires - figuratif / non-figuratif
- et le panneau central la voie de la synthèse. L'ennui
vient de l'occultation de ce grand panneau par les deux
autres qui n'arrêtent pas de battre des ailes et de se
disputer les faveurs de l'histoire.
L'un réclame
le motif, et la représentation plus ou moins fidèle du
réel : on doit reconnaître ce que l'on voit dans un tableau
!L'autre représente la matière, le travail débarrassé
de tout souci de figuration ou référence au réel.
Au milieu, pourtant,
le peintre synthétise ces deux aspects opposés et complémentaires
de la peinture. Il n'oublie pas le réel : la peinture
est un excellent moyen, au contraire, d'en "rendre compte".
Mais il n'élude pas pour autant la question des moyens
pour se faire.
C’est dans cet espace unificateur que se trouve la Peinture.
Cela ne met
pas le non-figuratif à la porte : il est certes plus facile
à pratiquer en fumiste, mais il peut aussi être l'aboutissement
d'un long travail de synthèse. La fatale erreur fut de
condamner la figuration, alors qu'elle est un élément
essentiel.
L'esthétique
de l'accomplissement
C'est simplement
ce que l'on ressent quand une œuvre est aboutie.
Nous choisissons
comme symbole la statuaire africaine traditionnelle pour
des raisons d'altérité : elle nous paraît "évidente" alors
qu'elle est lointaine et hors de notre culture. Nous posons
alors la question de la « motivation » des « artistes
» qui accomplissent ces œuvres, motivation que l'on ne
peut abstraire des œuvres elles-mêmes. L’oeuvre, fut-elle
anticonformiste ou révolutionnaire, se justifie comme
part et produit de la société qui l’a engendrée. Qu'un
artiste jubile de n'être compris - ou aimé - que de lui-même
devrait intéresser les psychiatres...
Le Sacré
Si l'art dans
le sacré nous paraît naturel, reconnaissons-nous le sacré
dans l'art ?
Une statue dans
une chapelle, pas de problème. Mais la foi du sculpteur,
quelle question !
Le sacré ne
se réduit pas, bien entendu, à sa dimension religieuse.
Il est dans tout être humain, fut-il athée.
Comme la figuration,
Esthétique et Sacré ont souffert du XXème siècle.
Conclusion
: le traditionnel comme école
Tout le monde
sait, sans l’avouer, que l’ "Art Contemporain" est dans
une impasse. L'histoire, forcément, l’en fera sortir.
Mais quand ?
L'issue est
pour nous la réconciliation et l'abolition des frontières.
Frontières entre
les Arts, Figuratif, Non-Figuratif, "Abstrait", "Concret"...
Frontières entre
les Arts, "plastiques", "sonores", "poétiques"...
Frontières entre
l’Artiste et l’artisan, qui ne résistent pas à l’analyse,
non plus qu’à l’amour-propre.
Frontières entre
l’Art, forcément occidental et les "Arts Primitifs" (ou
"Premiers", ce qui, tout compte fait, n’en est pas moins
méprisant.) Nous préférons de loin le terme d’Art Traditionnel
et celui-ci doit perdre enfin son statut d'art mineur.
Il doit rester vivant et nous enseigner sa sève chargée
de culture et de sacré : notre plus haute école.
Par Yann-Fañch
Perroches et Yvo Jacquier
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